Annick Noble (TotalEnergies) : « il ne faut pas tomber dans l’idéologie»
- La rédaction d'Orléans Capitale

- il y a 20 heures
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Lucide sur les lenteurs et les blocages qui freinent la décarbonation, Annick Noble plaide pour une transition énergétique plus simple, plus concrète et plus rapide. À la tête de TotalEnergies Centre-Val de Loire, elle défend une approche de terrain où la réussite passe par la coopération locale, la confiance dans les acteurs régionaux et la capacité à transformer les intentions en projets. Au plus vite.

« Je suis tombée dans la marmite de l’énergie depuis le début ! », lance-t-elle dans un sourire. Ingénieure de formation, Annick Noble commence sa carrière chez Gaz de France — aujourd’hui Engie — sur les chantiers. « Je posais des canalisations, je participais à l’abandon du fioul chez les professionnels. Casque sur la tête, bottes aux pieds, dans un monde où les femmes étaient rares. À l’époque, les équipements féminins n’existaient pas, et les blagues salaces faisaient partie du décor. »
Après dix ans passés dans cet univers technique, elle saisit le virage de la libéralisation du marché de l’énergie. MBA techniques commerciales en poche, elle rejoint TotalEnergies en 2003. « Total m’a appelée à un moment charnière. L’entreprise voulait se lancer dans la commercialisation du gaz directement auprès des clients finaux, tout était à construire. C’était une page blanche, et j’adore construire. »
Du gaz aux territoires ruraux : retrouver le sens
Après le gaz naturel, elle se tourne vers le propane en cuve et contribue à raccorder des communes en délégation de service public. Puis, elle prend la responsabilité d’activités liées au gaz non routier. « J’y suis allée à reculons, mais j’ai vite trouvé du sens : le contact avec le monde rural, les agriculteurs, les personnes âgées isolées. Ces territoires, on les oublie trop souvent. »
En 2021, Annick Noble prend la tête de la direction régionale Centre-Val de Loire. « Je ne connaissais pas Orléans, mais je suis tombée amoureuse de cette région à taille humaine, enracinée dans la ruralité. Je m’y suis ancrée moi-même — j’ai même fait venir ma mère ! »
« Je ne sais pas avancer sans mon équipe »
Son management, elle le définit comme participatif. « Je me nourris des autres. Je ne peux avancer qu’en étant en contact avec mon équipe, qui elle-même est au contact du client final. La direction régionale, c’est une courroie de transmission entre le terrain et le groupe. »
Cette proximité lui permet de sentir battre le pouls d’une entreprise en pleine mutation. « TotalEnergies change à grande vitesse. Nous restons une compagnie multi-énergies, mais notre mix évolue : aujourd’hui encore à environ 67 % pétrole, il est passé à 43 % fin 2024, pour atteindre à horizon 2050 : 50 % d’électricité, 25 % de gaz-pétrole et 25 % de biogaz, biocarburants et hydrogène. C’est un basculement historique. »
Une présence régionale souvent méconnue
Peu savent que TotalEnergies est un acteur économique majeur en Centre-Val de Loire. « Nous employons 3 300 personnes dans la région. Toutes les branches du groupe y sont présentes : raffinage et chimie, avec Hutchinson ; distribution, avec près de 200 stations-service TotalEnergies, Elan, Contact ou AS24 ; mais aussi le gaz, l’électricité et bien sûr les énergies renouvelables. »
À cette échelle, la région devient un laboratoire de la transition. « Nous développons de nombreux projets photovoltaïques, éoliens et biogaz. Le Centre-Val de Loire n’est pas qu’un espace de passage, c’est un territoire d’innovation énergétique. »
La Métairie et Truyes, vitrines de la transition solaire
Deux projets illustrent cette dynamique : La Métairie (Loiret), parc de 75 hectares et 54 MWc, et Truyes, en Indre-et-Loire, dont la mise en service est imminente. Codéveloppée par TotalEnergies et Altergie, la centrale solaire de Truyes s’étend sur 30 hectares d’une ancienne carrière réhabilitée. Avec 48 800 panneaux photovoltaïques, elle produira 34,5 GWh/an, soit l’équivalent de la consommation de 21 500 habitants — environ 40 % de la communauté de communes Touraine Vallée de l’Indre.
« Ce projet illustre notre manière de travailler : revaloriser des friches, préserver la biodiversité, produire localement », souligne Annick Noble. « C’est une démarche exemplaire de reconversion. Le solaire devient un outil de revitalisation territoriale. »
Pour la directrice régionale, l’avenir passe aussi par l’agrivoltaïsme. « Le solaire doit se mettre au service de l’agriculture. On ne peut pas avancer contre les agriculteurs. » Les nouveaux projets du groupe intègrent désormais des panneaux verticaux et orientables, espacés pour laisser circuler les engins. « Grâce à une application, l’agriculteur peut suivre la course du soleil, redresser les panneaux pour protéger ses cultures ou adapter leur inclinaison selon les besoins. C’est une cohabitation intelligente. »
Transition énergétique : « Le temps est notre principal ennemi »
Sur la transition énergétique française, Annick Noble garde un regard lucide : « Le système est plutôt bien conçu, mais le développement des projets est trop lent. Les délais administratifs, l’empilement des contraintes, l’opposition systématique de certaines associations nationales… tout cela freine l’action. »
Elle plaide pour une simplification et une pédagogie collective : « Il faut aider les élus à convaincre, expliquer que la transition passe aussi par un champ solaire près de chez soi. On ne peut pas vouloir un monde décarboné sans accepter de le voir se construire. »
« Les Français doivent comprendre l’équilibre du système »
À ceux qui opposent renouvelables et nucléaire, elle répond sans détour : « Il ne faut pas tomber dans l’idéologie. Il faut de tout : du nucléaire, des renouvelables, du gaz. L’enjeu, c’est d’assurer la continuité et la sécurité de l’approvisionnement tout en réduisant les émissions. »
Et de rappeler quelques chiffres clés : « En France, 65 % de l’énergie consommée est encore fossile. Dans le monde, la demande continue d’augmenter, notamment en Asie. Le charbon reste dominant. C’est pourquoi les acteurs comme nous doivent agir là où c’est possible, avec des projets réalistes et rentables. »
« Nous devons encore fournir l’énergie dont le monde a besoin aujourd’hui. Sur 40 millions de véhicules, seulement 1,5% sont électriques », rappelle Annick Noble. Pour la directrice régionale, pour construire le monde énergétique de demain, il s'agit de s'appuyer sur l'existant.
Une vision mondiale : souveraineté et responsabilité
Pour Annick Noble, la transition n’est pas seulement écologique : elle est géopolitique. « Le levier de la décarbonation mondiale est aujourd’hui dans les mains de la Chine, qui contrôle 90 % des capacités de raffinage des métaux rares. La question de la souveraineté énergétique européenne est cruciale. »
Elle souligne que la France, malgré ses contraintes, a un rôle d’entraînement. « Nous devons produire propre, mais aussi rester compétitifs. Plus on multiplie les contraintes, plus on fragilise la rentabilité face à la concurrence internationale. »
« L’énergie, c’est la vie »
Au-delà des chiffres, la directrice régionale parle d’énergie avec passion. « L’énergie, c’est la vie. C’est ce qui fait tourner le monde. La décarbonation est un défi fascinant, car il touche à tout : la mobilité, l’habitat, l’alimentation, la géopolitique. »
Et de confier : « Je suis naturellement optimiste. En R&D, on voit des choses incroyables : des innovations sur l’hydrogène, les biocarburants, le stockage. Je ne ferai jamais partie des Cassandre qui pleurent sur l'état de la planète, j'essaye d'agir. »
« C’est le moment ou jamais pour les jeunes »
Annick Noble se dit fière de voir l’énergie redevenir un secteur attractif. « C’est le moment ou jamais de s’engager. On construit le monde de demain. Les métiers évoluent vite : hydrogène, biogaz, électricité, mobilité décarbonée… il y a de la place pour les ingénieurs, les chercheurs, mais aussi pour les communicants, les juristes, les développeurs de projets. »
Et de conclure, malicieuse : « Moi, j’ai commencé avec des bottes trop grandes. Aujourd’hui, je dirige nos activités dans toute la région. Alors je le dis : dans l’énergie, quand on a de l’envie, tout devient possible. »








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